Les graphistes enfin entendus ?

Posted by on Dec 7, 2014 in Blog

Un livret édité par le Centre national des arts plastiques devrait permettre
de limiter les abus des commanditaires, comme le réclament depuis des années
les professionnels du design graphique.

ls n’en pouvaient plus. En juillet 2013, les graphistes se mobilisaient contre des conditions de travail détestables. Pétition à l’appui, ils dénonçaient le mépris avec lequel certains commanditaires leur demandaient de plancher sur des projets sans leur donner le temps de réfléchir ni les rémunérer.

La mobilisation a-t-elle porté ses fruits ? Un an après, le message semble avoir été entendu du côté de certaines institutions publiques. Le ministère de la Culture, principale cible du mécontement, a amélioré ses manières, affirment ainsi Elise Muchir et Franklin Desclouds, du studio Des Signes. Plusieurs professionnels continuent en revanche à se plaindre du musée du Quai Branly et de la Ville de Lyon, qui refuseraient toute ouverture.

A Strasbourg, cet été, à l’occasion d’un appel d’offres demandant plusieurs semaines de réflexion et de maquettage sans aucune indemnisation, les cinq équipes consultées se sont concertées pour rétrocéder 10% de leurs honoraires en cas de sélection afin de dédommager les candidats non retenus.
Usine à logo

Et il faut maintenant compter avec l’émergence d’agences de crowdsourcing comme Creads. Sous couvert de « création participative », cette véritable usine à logo ou à affiche met en concurrence, via Internet, des centaines de graphistes sans rémunérer les études non retenues. C’est un peu à la création ce que la ferme des mille vaches est à l’agriculture.

Le 26 mai 2014, Axelle Lemaire, la secrétaire d’Etat au numérique, ignorante du problème, s’était enthousiasmée pour Creads, déclarant à ses dirigeants : « Vous êtes la France qui gagne ». A la suite de sa maladresse, une lettre ouverte a été signée par plus de sept mille personnes pour dénoncer cette nouvelle forme d’exploitation. S’y ajoute depuis août une pétition réclamant des marchés publics équitables et rémunérés. Prenant conscience de son impair, Axelle Lemaire a reçu une première délégation de graphistes le 21 juillet à Bercy. Une autre réunion s’est tenue le 26 novembre, où Denis Tersen, directeur du cabinet d’Axelle Lemaire, et deux experts du secrétariat aux Affaires numériques, ont apporté des éléments juridiques pour lutter contre le crowdsourcing abusif.

Kathleen Rousset, l’une des participantes, s’est dite satisfaite « de l’accueil et de l’écoute » ministériels. Julien Clément, du site KobOne.fr, estime lui aussi avoir rencontré des « interlocuteurs constructifs », même si, pour le moment, cette réunion n’a débouché sur rien de concret. La prochaine étape pourrait être une action en justice contre l’un des sites en cause, mais rien ne dit que le jugement serait favorable aux graphistes.

De son côté, le Cnap (Centre national des arts plastiques), un établissement public dépendant du ministère de la Culture, vient de publier un petit livret, La Commande de design graphique, destiné à améliorer les relations entre créateurs et commanditaires. Le document a été établi après avis de professionnels « Cela représente pour nous six mois de coopération avec le ministère, dit François Caspar, de l’Alliance française des designers. Avec ce guide, c’est la première fois qu’une voix ministérielle s’exprime par écrit sur le sujet. »

Prestation intellectuelle

Le design graphique est maintenant reconnu comme une profession à part entière. Le commanditaire découvrant ce métier ne pourra plus ignorer qu’un logo, une brochure ou une affiche est une prestation intellectuelle qui doit être rémunérée dans des conditions décentes. Et que les bons projets sont le fruit d’un échange.

Pascal Béjean, de l’atelier PBNL, qui s’est beaucoup battu pour les conditions de travail dans sa profession, a, lui aussi, été consulté. Il juge que l’essentiel est dit, « même si le ton est un peu institutionnel ». Sa consœur Fanette Mellier estime le guide « plutôt pratique ». Chez Des Signes aussi, on est assez satisfait du contenu, jugé complet et accessible, même si le duo aurait préféré que les questions relatives à la négociation des appels d’offres, et surtout aux cessions de droit, soient plus développées. « Nous avons encore beaucoup de difficultés sur ce point », dit Franklin Desclouds.

Ce livret peut aider un novice à établir un contrat et se faire payer. Mais il ne faut pas limiter sa diffusion au milieu culturel, fait remarquer Fanette Mellier. Car l’important est surtout de former les responsables de communication des mairies ou des entreprises, mais aussi les commanditaires de demain : les étudiants des écoles de commerce.

L’autre solution, c’est d’éviter les commanditaires demandant une flopée de books à de multiples graphistes sans savoir ce qu’il veulent. Un luxe que peu de professionnels peuvent se permettre, surtout quand ils débutent. D’autant que la baisse des crédits culturels entraîne une réduction des commandes, et pousse une partie de la profession vers la paupérisation. Malgré quelques pas en avant, les graphistes ne sont donc pas encore au bout de leur peine. Mais leur mouvement contribuera peut-être à mieux faire reconnaitre le design dans son ensemble.